25/03/2022, J-11:
J’ai décidé de commencer ce compte rendu de manière purement personnelle, en parlant de mes connaissances « pré Auschwitz » pour donner une idée de mon avis avant le voyage et pour voir cet avis évoluer, ces connaissances s’enrichir au fur et à mesure de mes écrits et de nos visites.
Durant ma scolarité, j’ai effectué de nombreuses heures de travail sur la Shoah, lu des livres, des articles, vu
des films, des reportages… Et l’oeuvre qui m’a le plus touchée est Le journal d’Anne Frank lu au cours de
mon année de 3ème. Si c’est un homme de Primo Lévi a certes été une lecture enrichissante pour la représentation de la vie à l’intérieur d’un camp, des actions menées au cours d’une période hors du temps et tragiquement exceptionnelle, cependant son côté récit linéaire m’a donné l’impression que pour Primo Lévi cette histoire était devenue « une évidence » ou une « habitude ». La lecture de son témoignage a provoqué une rage inexplicable en moi, j’aurais voulu rencontrer l’homme qui était en train d’écrire pour lui dire que ce ne serait jamais le simple récit d’une épreuve qu’il a endurée mais le témoignage poignant et héroïque d’un des rares survivants de ce que l’on appellera toujours un « crime contre l’humanité ».
C’est donc là la distinction entre cette oeuvre et celle de la jeune Anne Frank qui pensait uniquement à expliquer sa vie clandestine dans un petit journal, à titre privé, sans imaginer un seul instant que toute la spontanéité d’une adolescente donnerait lieu à une des autobiographies les plus connues dans l’histoire de la mémoire et des témoignages. C’est ce caractère spontané qui fait la différence à mes yeux car nous avons une vue d’ensemble sur l’évolution de ses sentiments et c’est d’une atrocité sans nom malgré le fait que son récit ne traite pas des camps directement. Avant même de commencer à lire nous savions quels drames allaient se produire, quelles horreurs cette jeune fille allait endurer et la lecture de ses réflexions correspondant à son jeune âge rappellent constamment que le reste de sa vie lui sera volé au nom d’une lutte raciale infondée et insensée.
Je pense donc que voir une image proche de la réalité des camps de l’époque me permettra de mieux comprendre l’oeuvre de Primo Lévi car ma représentation de son livre va changer dès que nous aurons franchi les portes des camps d’Auschwitz et de Birkenau.
05/04/2022, J1:
Après notre arrivée nous avons procédé à la visite de la ville de Cracovie avec le Château Royal du Wawel et ses légendes notamment sur la statue du dragon situé en bas du château, des églises et cathédrales aux architectures impressionnantes, des tombeaux de rois et reines qui ont marqué l’histoire de la Pologne ou d’hommes politiques tragiquement décédés.
Cracovie est une ville possédant un patrimoine culturel immensément riche, bien sûr souvent en lien avec la Shoah et l’antisémitisme puisque nous avons pu constater une très faible quantité de synagogues qui sont au nombre de 7 dans une ville que l’on appelle « ville aux cents Églises » qui en compte en effet une centaine
Il est intéressant de découvrir l’histoire d’un pays dont on ne parle pas assez, ravagé par la guerre (particulièrement celle de 39-45) et qui tente néanmoins de maintenir un devoir de mémoire et une lutte permanente contre l’oubli des outrages qui lui ont été faits ainsi qu’à toute la population. Il est tel que la réalité nous frappe lorsque les habitants de cette ville parlent de leurs aïeuls, plus particulièrement nos guides, ayant subi des atrocités durant les périodes de guerre. Il est donc plus aisé de se rendre compte que ces actions ont véritablement été menées et qu’elles ont heurté un trop grand nombre de personnes.
06/04/2022, J2:
Nous avons débuté notre journée avec le Galicia Jewish Museum qui explique une partie de la vie des juifs avant et après le début de la guerre et pendant la guerre elle-même et plus particulièrement l’histoire de Richard Ores qui m’a réellement touchée.
J’ai lu un panneau d’un témoignage de cet homme expliquant être aux Etats-Unis et ayant reçu une lettre de sa soeur désirant le rejoindre, lui s’inquiétait de ne pas savoir prendre soin d’elle et à la fin du panneau il explique que sa peur peut le quitter car sa mère et sa soeur sont mortes tuées par les Nazis. J’ai été profondément émue lorsque j’ai lu ce passage, je ne m’attendais pas à cette chute brutale et terrible qui a malheureusement été la chute pour beaucoup de familles décimées par les Nazis. C’est lors de telles lectures que l’on prend (encore plus) conscience des événements.
Suite à cela, nous avons visité la ville et avons appris avec stupéfaction que de nombreuses synagogues ont été désacralisées et utilisées comme lieux « basiques », par exemple comme des librairies ou magasins de jouets. Puis nous en avons visité une, avec son cimetière, et avons appris les coutumes liées aux décès.
En poursuivant notre visite, nous sommes arrivés sous l’arche où a été filmée une scène mythique du film La Liste de Schindler de S.Spielberg, celle de la liquidation du ghetto. Cela a fait le lien avec notre visite de l’après midi puisque nous avons été voir le musée de l’usine de Schindler. Ce musée donne l’impression d’être projeté dans les années 40, pendant la guerre, et dévoile certains aspects de la vie dans la ville de Cracovie durant ces années, avec la propagande, le travail et la résistance grâce à la visite de la pharmacie où se tenaient des réunions secrètes. C’est une manière de se sentir comme pendant la guerre et cela permet de s’imaginer la vie à cette époque.
Ensuite, nous avons vu la place où se trouvent 68 chaises, ancien lieu de tri des juifs dans le ghetto, qui représentent les 68 000 juifs déportés. Cette place dite des Héros est un moyen de faire perdurer leur mémoire. Enfin, lors de la visite de l’usine, nous sommes allés dans une salle entièrement consacrée à des phrases issues de témoignages de personnes déportées et je trouve que la suivante illustre parfaitement les faits « Sans mot dire, j’ai regardé la mort ». Il n’y avait pas de mot pour décrire l’horreur vécue et il n’y avait pas non plus la place pour des mots lorsque l’on vit constamment avec la mort sans pouvoir y changer quoi que ce soit.
07/04/2022, J3:
Vient le jour que j’appréhendais le plus de ce voyage : la visite d’Auschwitz. Il est difficile d’imaginer les camps de manière concrète malgré les nombreux écrits étudiés et les photos que l’on rencontre au cours de nos recherches et de nos études. Il se dégage une ambiance pesante dans cet endroit plus que n’importe où où nous avons pu aller jusqu’à présent (impression démultipliée dans le camp Auschwitz-Birkenau, voir J4).
Cependant, le fait que ce camp soit réaménagé en musée et le climat m’ont énormément perturbée car le soleil, les blocs en parfait état et propres, les oiseaux chantant rendraient presque l’endroit agréable, sensation particulièrement dérangeante lorsque l’on pense aux personnes massacrées en ces lieux.
Certaines salles de certains blocs m’ont énormément émue, notamment celle où l’on pouvait voir des dizaines de vêtements et chaussures d’enfants gazés dès leur arrivée à Auschwitz. Comment ont-ils pu exterminer d’autres êtres humains sans défense, parfois à peine nés, pour le simple fait d’être venu au monde?. C’est une question qui restera planante à chaque salle, durant les visites des deux camps et toujours à l’heure actuelle. L’image de la salle avec les kilos de cheveux en décomposition m’a profondément choquée, ainsi que celle où se trouvaient les prothèses, béquilles mais aussi les valises portant les noms de toutes ces personnes sauvagement assassinées.
Enfin, une salle comportant les dessins terribles d’enfants représentant les horreurs qu’ils voyaient et celle avec leurs visages, les portraits d’enfants et des fratries décimées ont laissé chez moi un sentiment inoubliable de grande tristesse mélangée à la colère.
Je n’ai donc pris qu’une seule photo dans Auschwitz car il me paraissait plus qu’illégitime pour nous, bien en vie, d’immortaliser la souffrance de millions de personnes exterminées. Enfin, l’après midi, nous avons visité la ville de Oswiecim et appris un peu de son histoire.
08/04/2022, J4:
Nous avons débuté le 4ème jour par la visite d’un mémorial, un wagon d’époque ayant transporté des centaines de prisonniers, des déportés. C’est un morceau de l’histoire de la Pologne et des gens qui sont morts durant cette période. Je trouve l’idée de ce mémorial magnifique, cependant l’emplacement m’a mise mal à l’aise puisque des maisons se situent juste en face. Malgré les explications de notre guide, j’ai trouvé cela malsain.
Ensuite nous sommes allés à Auschwitz Birkenau. Les conditions m’ont paru plus propices à la visite car moins « printanières ». Les stèles commémorant les morts et dénonçant les actions nazies sont impressionnantes, c’est un lieu de recueillement à mon sens, fort de significations. Le camp en lui-même est réellement impressionnant, des blocks à perte de vue, installés identiquement les uns toujours à même distance des autres, le même bâtiment, les mêmes espaces et chacun comportant des histoires lugubres. Il y avait notamment un block « toilettes » où les détenues ne pouvaient pas aller à leur guise. Ces femmes étaient maltraitées et humiliées dans ce qui restait de leur intimité et de leur humanité. Il y avait aussi un des blocks où les gens dormaient, sur des paillasses uniquement composées de plaques de bois froides et dures sur 3 niveaux. Ce sont des conditions de vie misérables, que l’on n’imagine pas vivre de nos jours pourtant c’était leur quotidien. Nous avons ensuite vu le block où se passait le récit de Charlotte Delbo lorsqu’elle parlait de ces cadavres de femmes dans la neige semblables à des mannequins. C’est alors que l’on prend conscience que ce récit c’était ce qui se trouvait là, à l’endroit où nous regardions et on peut alors s’imaginer les femmes décrites par Charlotte Delbo, mortes. Enfin, le monument commémoratif est magnifique, aussi impressionnant que le reste du camp, c’est un nouveau lieu de recueillement qui nous rappelle que les camps ont bien existé, que les disparus ont bien existé, que les rescapés luttent peut être encore avec le souvenir traumatique de cette épreuve.
Bilan
Ce voyage m’a permis de prendre conscience de la réalité des faits énoncés et travaillés en cours. Les camps de concentration sont des endroits possédant tellement d’ondes négatives, de souvenirs horrifiques, portant la mémoire de millions de personnes exterminées dans la plus grande des violences connues à ce jour, qu’il a parfois été dur pour moi d’entendre certains détails, de les accepter comme réels car une fois qu’on y est confronté c’est douloureux. Je ne me sens pas légitime de trouver cela douloureux car je pense à toutes ces personnes et pourtant je suis d’autant plus peinée. D’ailleurs, je ne pensais pas ressentir tant de peine, plutôt de la colère, de l’incompréhension mais le sentiment qui l’emporte reste la peine. Ce qui ressort de ce voyage et de ces visites c’est une seule question : Comment ? Comment a t-on pu faire endurer des horreurs pareilles à des innocents, à des enfants, à des personnes qui n’avaient même pas idée qu’il fallait se défendre. Les Nazis ont envoyé 6 millions de personnes directement à la mort et ces monstres n’ont même pas eu un minimum d’humanité pour leur dire qu’ils allaient mourir, pour que ces malheureux puissent dire adieu à leurs familles. À la place de cela, ils leur ont menti pour les envoyer à l’abattoir. Il est nécessaire de faire perdurer le souvenir de la Shoah, de le transmettre malgré la disparition des derniers témoins puisque comme l’a dit Primo Lévi les seuls vrais témoins de la Shoah ne sont jamais revenus. Avec les actualités il me semble encore plus important de dire qu’il faut maintenir le devoir de mémoire afin de lutter contre ceux qui tenteraient de reproduire les actes d’Adolph Hitler et de tous ses partisans. Enfin, je me disais que j’étais peut-être encore un peu jeune pour être face à tant de violence, que je n’y étais pas préparée. Mais quand je me suis rendue sur les lieux du massacre j’ai compris que personne n’est jamais
prêt à être face à cela. Personne ne peut encaisser le choc, personne ne peut avoir l’esprit léger après être allé à Auschwitz Birkenau. Nous sommes lestés par le poids de la peine, de la colère, le lourd rappel que notre humanité a été autrice de crime contre elle-même mais qu’en même temps ce ne sont pas réellement des actes humains. Il est impossible de se considérer comme humain lorsque l’on a été complice d’une telle boucherie, lorsque l’on a été l’homme de tête responsable de tous ces assassinats.
Ainsi, que tous se rendent compte de cette sombre période de l’Histoire et peut-être que nous serons pardonnés, peut-être même que nous pourrons atteindre une paix durable dans le but de ne plus jamais avoir à raconter des histoires similaires à celle-ci.