Expérimentations scientifiques dans les camps nazis
À Auschwitz, une quarantaine de médecins étaient présents pour effectuer les sélections sur la rampe d’arrivée (« Judenrampe ») et pratiquer des expériences pseudo-scientifiques, parmi lesquels le célèbre Mengele. Ce n’est pas une exception dans le système concentrationnaire nazi : dans d’autres camps de concentration, d’autres tortionnaires ont enfreint le serment d’Hippocrate et réalisé des expériences pseudo-scientifiques à des fins raciales ou dans des buts militaires. Les traces laissées sur les rescapés ont marqué à jamais leurs victimes. Leurs procès ont conduit à l’énoncé du « Code de Nuremberg », extrait du jugement pénal rendu les 19-20 août 1947 par le Tribunal militaire américain. Ce « Code de Nuremberg » va déterminer le caractère licite ou illicite des expérimentations. Grâce à ce procès, un texte de jurisprudence internationale existe désormais, et encadre la réalisation des expériences avec une base légale.
De nos jours, le « Code de Nuremberg » reste régulièrement évoqué ; ce texte fut fondamental pour le développement de la notion de bioéthique.
« Bloc 10 » situé dans le camp d’Auschwitz I, lieu des expériences médicales réalisées sur des détenus par des médecins SS, Auschwitz I, Pologne.
Enfants survivants d’Auschwitz, photographie extraite d’un film soviétique de la libération d’Auschwitz, réalisé par l’unité cinématographique du premier front ukrainien, Wytwornia Filmow Dokumentalnych I Fabularnych
Ruines du bloc des jumeaux situé dans le camp des femmes, les jeunes cobayes y étaient enfermés dans l’attente des expériences réalisées par le médecin SS Josef Mengele, Auschwitz-Birkenau, Pologne
Ruines du « bloc 32 » situé dans le camp des tsiganes, qui fut le lieu des expériences médicales sur des enfants (pour la plupart des jumeaux), réalisées par le médecin SS Josef Mengele, Auschwitz-Birkenau, Pologne
L‘accusé Karl Brandt, commissaire général pour la Santé et les Affaires sanitaires, témoigne lors du procès des médecins. Nuremberg, Allemagne, du 09 décembre 1946 au 20 août 1947, photographie provenant du site US Holocaust Memorial Museum
Expériences pour rendre l’eau potable
Ainsi, la méthode Schaefer (établie par Konrad Schaefer) permet de dessaler l’eau de mer en la rendant potable mais a un coût toutefois élevé. La méthode Berka, quant à elle, permet seulement d’enlever le goût salé de l’eau et de la purifier légèrement pour un coût moindre. Ces expériences ont été permises par la volonté d’Heinrich Himmler et supervisées par de nombreux scientifiques reconnus, notamment par Oskar Schroeder (un médecin de l’armée de l’air) qui en était le principal commanditaire.
Après avoir relativement bien mangé, les sujets étaient divisés en quatre groupes :
- le premier recevait de l’eau de mer de la méthode Berka ;
- le second de l’eau potable ordinaire ;
- le troisième était privé d’eau ;
- et le quatrième était fortement rationné en eau potable.
Les « résultats » sont équivoques, quelques jours après le début de l’expérience (2 semaines en tout), les
groupes 1, 3 et 4 souffrent soit de la soif soit de la trop forte teneur en sel. Ils deviennent peu à peu fous et leur santé se dégrade.
Les prisonniers étaient forcés à devenir les sujets de ces expériences sous peine d’être abattus. De plus, ils n’avaient aucune information sur le but et les raisons de ces expériences. Leurs souffrances physiques et psychologiques n’étaient pas prises en compte et n’arrêtaient pas les scientifiques. Ainsi, pouvons-nous dire que ces expériences étaient de la torture, plus que de réelles expérimentations. Certaines paroles rapportées décrivent les sujets comme dans des états « semi-conscients », avec les yeux mi-clos, n’ayant plus de réflexes, ayant un pouls faible, la peau du visage sèche, des « signes tétaniques intenses » et un fort affaiblissement musculaire, accompagné d’une augmentation du volume du foie. « La soif prend une forme difficile à supporter […]. Il demande de l’eau seulement lorsqu’il s’éveille de son état semi-conscient. L’apparence est très mauvaise et désespérée. L’état général est alarmant […] »
Les « cobayes » de ces expérimentations sur l’eau de mer et sur les différentes méthodes pour la rendre potable étaient choisis parmi les prisonniers des camps de concentration et/ou de mise à mort. La majorité des sujets étaient des tziganes sélectionnés à Buchenwald et transférés à Dachau. Un fois transférés, des examens étaient réalisés afin de savoir s’ils étaient aptes à subir une telle expérience. S’ils étaient inaptes, ils étaient transférés à une autre tâche ou assassinés et s’ils refusaient de se prêter à l’expérimentation, ils étaient d’office tués.
L’un d’eux témoigne : « Quand vous avez à choisir entre une injection et être volontaire, vous êtes volontaire. »
La méthode Schaefer qui consiste à désaliniser l’eau de mer fonctionne ; en revanche, la méthode de Berka qui consiste à retirer le goût salé de l’eau de mer sans enlever ses propriétés ne fonctionne pas. Ainsi, il vaut mieux boire de l’eau salée mais en petite quantité car de grosses quantités représentent un danger pour l’organisme (par exemple, les sujets étaient assoiffés, devenaient fous, avaient une apparence mauvaise et désespérée et leurs battements de coeur étaient très bas).
Or, nous pouvions nous passer de telles expérimentations puisque la validité ou non de la méthode de Berka aurait pu être déterminée en 30 minutes ; ainsi, la durée de l’expérience qui s’étend sur plusieurs jours n’était pas nécessaire et ces expérimentations n’ont pas été menées avec rigueur.
De plus, elles auraient dû être réalisées avec le consentement des sujets et leur connaissance de l’expérience. Ces expériences étaient, au-delà de la recherche scientifique, un prétexte pour les scientifiques pour martyriser les sujets.
En réalité, ces expériences n’auront servi à rien sauf à faire souffrir des dizaines de personnes. L’absence de rigueur scientifique, de consentement et de fondement scientifique rendent les résultats inexploitables. L’expérience aurait pu être effectuée sur des volontaires et aurait sûrement donné les mêmes résultats. Lors du procès des médecins de Nuremberg en 1946, Konrad Schaefer reconnaît l’inutilité de ces expériences au vu des preuves scientifiques pré-établies « pas scientifiquement parlant, nécessaires », et étaient même « absolument superflues ».
Il est sanctionné pour ne pas avoir plus largement averti sur les dangers de ces expériences.
Oskar Schroeder est quant à lui sanctionné pour n’avoir pas pris en compte les conditions désastreuses des expérimentations. Concernant le professeur Wilhelm Beiglböck, il nie le fait que ces expérimentations ont provoqué la mort de plusieurs personnes. De plus, il affirme qu’elles ont été réalisées en respectant les règles éthiques et soutient qu’elles n’ont jamais mis les sujets en danger. Il est soupçonné d’avoir modifié les résultats afin de fausser la réalité sur les conditions dans lesquelles étaient certains sujets.
Ainsi, Oskar Schroeder, Wilhelm Beiglböck et d’autres scientifiques comme Karl Gebhardt, Rudolf Brandt, Wolfram Sievers ou encore Hermann Becker Freyseng sont reconnus coupables de conspiration, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et appartenance à une organisation criminelle. Parmi ces 6 scientifiques, 3 ont été exécutés et 3 ont été condamnés à la prison mais ont ensuite bénéficié d’une réduction de peine.
L’étude de ces expériences nous a profondément perturbé. Tout cela nous paraissait invraisemblable, surréaliste. Nous n’arrivons pas à imaginer que des êtres humains aient pu faire de telles choses à d’autres humains. Nous ne réalisons pas que ces médecins, ces scientifiques, à qui nous faisons normalement confiance, à qui nous confions notre santé et notre vie, aient pu être aussi sadiques et pu faire autant souffrir des personnes. Mais nous pensons surtout à toutes les victimes de ces expériences, à toute la souffrance qu’on leur a infligée en « raison » de leur ethnie, leurs origines, leurs croyances, leur orientation sexuelle. Toute la souffrance qu’ils ont endurée pour des expériences inutiles et encouragées par le sadisme et la volonté d’éradiquer des populations. Ainsi, l’étude de ces expériences nous a marqués et nous a encouragés à réaliser, à notre tour, le devoir de mémoire. Nous devons nous souvenir de toutes ces victimes, tous ces hommes, ces femmes, ces enfants, ces nouveaux nés qui ont été massacrés, torturés, à qui on a retiré la vie et leur rendre hommage. Nous devons témoigner pour ne plus que cela se reproduise et ne pas oublier les horreurs de cette période
qu’est la Shoah.
Synthèse rédigée par Tom ALLAMANDO et Émeline DEMEYER
À partir d’extraits du livre de Bruno HALIOUA, « Le procès des médecins de Nuremberg », édition ERES, 2018
Et de Bernard KANOVITCH, Centre de Documentation Juive Contemporaine, « Revue d’Histoire de la Shoah »
1997/2 N° 160
Les expériences de sauvetage des personnes souffrant d'hypothermie
Il est confié à Ernst Holzlöhner, professeur titulaire de physiologie à l’université de Kiel, le soin de mener des recherches expérimentales sur les déportés du camp de Dachau, il est assisté par le docteur Sigmund Rascher.
Les expérimentations débutent en août 1942 avec des déportés qui sont immergés soit nus, soit avec des combinaisons de pilotes, dans des cuves de huit mètres cube remplies d’eau, dans lesquelles sont placés des blocs de glace. La température de l’eau oscille entre 2 et 12 degrés. Certains déportés reçoivent des narcotiques.
Lors du procès, les accusés rejettent sur Sigmund Rascher la responsabilité des décès survenus au cours de ces expériences sur l’hypothermie. Le professeur Karl Gebhardt déclare que le rapport de Sigmund Rascher était « non scientifique », et que même un jeune étudiant aurait fait beaucoup mieux. Sigmund Rascher adresse un « rapport sur les expériences de réchauffement de personnes en hypothermie par la chaleur animale » à Heinrich Himmler, le 17 février 1943. Sigmund Rascher lui suggère de poursuivre ces expériences sur une plus grande échelle à Auschwitz qu’il juge plus adapté, car il y fait plus « froid et les dimensions de l’enceinte du camp les rendront plus discrètes (les objets d’expériences humains hurlent quand ils ont très froid) ».
Ernst Holzlöhner présente les résultats de ces expériences sur l’hypothermie les 26 et 27 octobre 1943 au Deutscher Hof de Nuremberg, auquel assistent 90 médecins spécialisés sur la question. Personne n’émet de protestation, parmi les participants, le docteur Konrad Büttner deviendra par la suite professeur de bioclimatologie à Seattle (Washington), le docteur Jürgen Aschoff sera professeur à l’Institut Max-Planck de physiologie à comportement à Heidelberg.
Robert L. Berger publie un article dans le New England Journal of Medicine dans lequel il pointe de nombreuses erreurs comme le nombre de sujets ayant participé à chaque expérimentation, tout comme l’âge, le poids, le « niveau de nutrition » ou l’évolution des différents groupes de sujet en fonction de l’évolution des températures et des durées d’immersion. Il estime que ces expériences relèvent plus du « bidouillage» que d’un travail de recherche. Les scientifiques estiment entre 200 et 300 individus qui servirent de cobaye pour environ 300 à 400 expériences effectuées. 80 à 90 d’entre eux périrent.
Quatre des dix accusés sont reconnus coupables, Holzlöhner se suicide vraisemblablement en 1944. Sigmund Rascher a été arrêté fin 1943 après un scandale concernant sa vie privée, et est assassiné ainsi que sa femme au printemps 1945 sur ordre de Heinrich Himmler devant l’avancée des troupes alliées.
Ces expériences sont inhumaines pour notre époque, et en aucun cas elles ne respectent l’éthique des médecins. Les scientifiques ont fait subir des dommages irréversibles et moraux à ces détenus, qui n’étaient pas volontaires mais des victimes. En effet mettre des innocents dans des cuves d’eau froide sans leur consentement et sans garantie de rester en vie est indigne. Les scientifiques auraient pu d’abord tester leur expérience sur des animaux avant de le faire sur les êtres humains comme on le fait aujourd’hui.
Ils n’ont jamais été soucieux de la douleur et de l’angoisse des sujets d’expérimentation ; ils n’ont jamais protesté alors qu’ils savaient qu’elles provoqueraient la mort. Il est impensable que des « médecins » se soient comportés ainsi.
Synthèse rédigée par Thierry FEDERBE et Erwann TELLIER
À partir d’extraits du livre de Bruno HALIOUA, « Le procès des médecins de Nuremberg », édition
ERES, 2018
Et de Bernard KANOVITCH, Centre de Documentation Juive Contemporaine, « Revue d’Histoire de la
Shoah » 1997/2 N° 160
L’exploitation des « résultats »
- Que sont devenus les résultats de ces différentes expériences ?
Les dits « résultats » des expériences nazies, qui pour la plupart furent détruits par les médecins ou non concluants, n’ont pas le droit d’être exploités car ils font partie de recherches allant à l’encontre des règles d’éthique de la médecine actuelle. De plus, ces résultats émanent d’expériences n’ayant pas réellement de but médical avéré, si ce n’est de torturer et tester les limites du corps humain sur des déportés, pourtant assez meurtris par l’horreur qu’ils vivaient déjà au sein des camps.
- Peut-on (doit-on) exploiter les résultats ?
Malgré le fondement scientifique de certaines expériences, les résultats sont toutefois inexploitables de nos jours. En effet, afin de ne laisser aucune trace des atrocités commises, la plupart des archives ont été détruites avant la libération des camps. Les seuls résultats récupérés présentent des incohérences scientifiques dues aux conditions de réalisation et au déroulement des expériences. De plus, les motivations qui ont animé les ”scientifiques” de l’époque, rendent ces expériences et leurs résultats, inutilisables d’un point de vue éthique. La mémoire des victimes qui ont subi ces expériences doit être respectée et non bafouée.
Synthèse rédigée par Tom ALLMANDO, Émeline DEMEYER, Jeanne FAVEEUW, Steven FLODROPS et Laurine FOSLIN
À partir d’extraits du livre de Bruno HALIOUA, « Le procès des médecins de Nuremberg », édition ERES, 2018 Et de Bernard KANOVITCH, Centre de Documentation Juive Contemporaine, « Revue d’Histoire de la Shoah »
1997/2 N° 160
Photographie du « bloc 10 », Lionel Guericolas, Auschwitz-Birkenau, Pologne
Expériences sur les limites de la résistance des êtres humaines aux hautes altitudes
Argumentation
- Participation active aux expériences notamment dans la mise au point du protocole expérimental
- Ne pas s’être préoccupé de la dangerosité et de la souffrance des sujets humains d’expériences qui étaient
des détenus (trop dangereux sur des civils) - Ne pas avoir stoppé immédiatement les expériences après les premiers décès
- Ne pas avoir eu d’éthique médicale
Le docteur Andrew Ivy, spécialiste de physiologie humaine, déclare, le 14 juin 1947 lors du procès, à propos des
problèmes éthiques que pose la réalisation de cette expérience : « Je crois que les renseignements obtenus par
ces expériences auraient pu être obtenus par des expériences sur des animaux, ainsi que le montrent les résultats
de Lutz et de Wendt. »
- D’avoir suivi le chef SS
Arguments de la défense :
- Les accusés rejettent la faute sur Sigmund Rascher qui a commandité et organisé les expériences. Ils
n’étaient pas au courant des exactions de Sigmund Rascher, absent lors du procès. D’ailleurs, Wolfgang
Romberg répondra qu’il n’avait aucun droit, ni aucun moyen matériel d’empêcher les décès : « Je ne suis ni
un violent, ni un boxeur, je n’avais aucun droit ou devoir légal, d’intervenir par la force ; j’étais un invité ! » - Ils ont, par la suite, stoppé les expériences. C’est Siegfried Ruff qui décida de retirer la chambre de pression
de Dachau après la survenue des décès au cours des expériences de Sigmund Rascher
Leo Alexander, expert de l’accusation, explique la nature de l’expérience subie par le témoin (20
décembre 1946, Nuremberg, Allemagne
Source : Wikipédia
Verdict
Les inculpés Siegfried Ruff, Wolfgang Romberg et August Weltz sont déclarés non coupable même si de « lourdes charges » pèsent sur Siegfried Ruff, Wolfgang Romberg.
August Weltz, après avoir été acquitté, est devenu professeur à Munich.
Source : Wikipédia
Siegfried Ruff, après avoir été acquitté, a été nommé directeur l’Institut de médecine des transports aériens à Bonn-Bad Godesberg, en 1954. Dans un livre qu’il a coécrit, il est expliqué que « pour le vol aérien, dans un premier temps, seuls les résultats des recherches opérées sur l’homme ont unevaleur pratique ».
Siegfried Ruff témoignant pour sa propre défense lors du procès des médecins de Nuremberg
Source : Wikipédia
Wolfgang Romberg, ancien médecin au Centre d’aéronautique expérimentale de Berlin, a été reconnu non coupable et a été acquitté. Il a ouvert un cabinet médical à Düsseldorf.
Wolfgang Romberg témoignant durant le procès de Nuremberg (du 9 décembre 1946 au 20 août 1947)
Source : Wikipédia
Sigmund Rascher n’a pas été jugé lors du procès des médecins de Nuremberg car il avait été tué.
Source : Wikipédia
Synthèse rédigée par Camille BAYET, Léa COURBOT, Solène LEGROUX, Lila MACHEFERT et Manon SCHREFHEERE
À partir d’extraits du livre de Bruno HALIOUA, « Le procès des médecins de Nuremberg », édition ERES, 2018
Et de Bernard KANOVITCH, Centre de Documentation Juive Contemporaine, « Revue d’Histoire de la Shoah »
1997/2 N° 160
Le procès des médecins de Nuremberg
Présentation
Déroulement
Arguments de la défense :
Tout au long du procès, les avocats des accusés ont présenté une série d’arguments dans le but de réduire la peine des accusés. Ces arguments étaient les suivants :
En l’absence d’une juridiction précise et écrite sur les expérimentations médicales, un crime ne peut être reconnu. De plus certaines expériences des médecins nazis pouvaient être comparées avec celles réalisées par les chercheurs américains (des expériences effectuées sur des détenus dans des prisons américaines). Les accusés n’étaient pas libres de faire ce qu’ils voulaient, ils étaient sous l’influence du régime totalitaire nazi qui les a contraints à réaliser ces expériences. Ces médecins étaient des chercheurs désintéressés et de bonne foi qui agissaient uniquement dans le but d’améliorer le sort de l’humanité. D’ailleurs Oskar Schroeder estime qu’il est licite de réaliser des « expériences d’une nécessité vitale, dont les résultats pourront sauver la vie de beaucoup d’autres gens ». La nécessité d’expérimenter sur des êtres humains puisque les modèles animaux présentaient des limites.
Arguments de l’accusation :
Face à ces différents arguments exposés par la défense, l’accusation a répondu en soulignant l’incohérence de certains d’entre eux :
Pour commencer ils ont dénoncé l’idéologie raciste nazie, basée sur la hiérarchisation des différentes « races » et qui de ce fait légitimait des atrocités sans nom qui ont provoqué la mort de millions de personnes. Ils ont aussi réfuté l’analogie entre les expérimentations réalisées par les chercheurs américains et celles effectuées par les scientifiques nazis, sur des thématiques similaires. En effet, durant les expériences américaines, les sujets disposaient du droit d’arrêter puisqu’elles étaient basées sur le volontariat, contrairement à celles menées par les médecins SS. De plus les conditions durant ces expériences étaient différentes : par exemple lors des expérimentations sur les altitudes aux États-Unis, les sujets disposaient d’un masque à oxygène et certains résultats ont pu être obtenus au moyen de simulations mathématiques (ce qui aurait pu être le cas à Dachau).
Le Jugement
Les sept accusés acquittés sont :
- Paul Rostack qui était chirurgien civil à Berlin et chef du conseil médical et de recherche.
- Hans-Wolfgang Romberg qui était médecin au centre aéronautique expérimental de Berlin.
- Siegfried Ruff qui était chef médical du centre aéronautique expérimental de Berlin.
- Konrad Schafer qui était chercheur au centre aéronautique expérimental de Berlin.
- Kurt Blome qui a testé des vaccins sur des prisonniers, il a été jugé pour extermination de prisonniers malades et pour des expériences menées sur des êtres humains.
- Adolf Pokorny qui était accusé de coopérer au programme de stérilisation.
- George August Weltz qui était radiologue et directeur de l’institut de médecine aéronautique de Munich.
Les neuf accusés condamnés à des peines de prison sont :
- Fritz Fischer, assistant de Karl Gebhardt (médecin de Himmler), qui a été condamné à la prison à vie mais libéré en 1954.
- Siegfried Handloser, chef des services de santé de la Wehrmacht. Il a été condamné à la prison à vie mais libéré en 1954.
- Gerhard Rose qui a commis des sévices sur ses patients et était vice-président de l’institut Robert Koch. Il a été condamné à la prison à vie mais libéré en 1955.
- Oskar Schroeder, chef des services de santé de la Luftwaffe, a été condamné à la prison à vie mais sa peine a été réduite à 15 ans de prison.
- Hermann Becker-Freyseng, chef de médecine aéronautique de la Luftwaffe, a été condamné à 20 ans de prison, réduits ensuite à 10 ans.
- Herta Oberheuser a participé aux injections de sulfamide à Ravensbruck, elle a été condamnée à 20 ans de prison mais libérée en 1952.
- Karl Genzken, chef du service de santé des Waffen SS, a été condamné à la prison à vie mais libéré en 1954.
- Wilhelm Beiglböck, spécialiste en médecine interne, a été condamné à 15 ans de prison mais libéré en 1951.
- Helmut Poppendick, généticien, chef du personnel des médecins SS, notamment jugé pour sa participation aux expériences sur les limites de la résistance aux hautes altitudes, à l’hypothermie, celles sur l’eau potable, etc. Il a été condamné à 10 ans de prison mais libéré en 1951.
Les sept accusés condamnés à mort sont :
- Karl Brandt, médecin personnel d’Adolf Hitler et commissaire du Reich pour la santé, il représente l’autorité médicale suprême du troisième Reich en charge du programme d’euthanasie « Aktion T4 ».
- Karl Gebhardt, médecin personnel de Himmler et aussi médecin chef de la SS, fut condamné pour avoir participé et supervisé de nombreuses expériences notamment sur des femmes détenues à Ravensbruck.
- Joachim Mrugowsky, chef de l’institut d’hygiène de la Waffen SS, ayant participé à certaines expérimentations comme celles sur la résistance aux hautes altitudes, la résistance à l’hypothermie et celles pour rendre l’eau potable.
- Waldemar Hoven, médecin-chef dans le camp de Buchenwald, fut condamné pour avoir participé à l’exécution des déportés de Buchenwald.
- Viktor Brack, principal organisateur du programme d’euthanasie « Aktion T4 », fut jugé pour sa participation aux expériences sur la stérilisation de masse et condamné pour crimes contre l’humanité.
- Rudolf Brandt, juriste, conseiller d’Himmler.
- Wolfram Sievers, responsable de « l’Ahnenerbe » (institut de recherche nazi) et qui a réalisé des expériences mortelles sur des humains.
Ce procès fut très important car il permit d’informer les populations sur les expériences réalisées et les dérives de la science. C’est à l’issue de ce procès que fut énoncé le « Code de Nuremberg », texte de loi encadrant les expérimentations médicales afin d’éviter de nouvelles dérives.
Synthèse rédigée par Daniel POTY et Antoine SARAZIN
À partir d’extraits du livre de Bruno HALIOUA, « Le procès des médecins de Nuremberg », édition ERES, 2018 Et de Bernard KANOVITCH, Centre de Documentation Juive Contemporaine, « Revue d’Histoire de la Shoah »
1997/2 N° 160
Photographie des 23 accusés du procès des médecins, leurs avocats sont situés au-dessous d’eux
Leo Alexander, expert de l’accusation, explique la nature de l’expérience subie par le témoin
Source : Wikipédia
Le code de Nuremberg et la notion d’éthique médicale
Le code de Nuremberg et la notion d’éthique médicale
Ce code organisé en dix points (voir ci-contre) permet donc la sécurité des sujets et le caractère scientifique d’une expérience. En effet, ce code assure que le sujet doit être volontaire, que toutes les informations et risques de cette expérience doivent lui être transmis, qu’il peut arrêter l’expérience s’il le souhaite et que celle-ci comporte le moins de risques possibles. Pour s’assurer de la scientificité de l’expérience, les expérimentateurs doivent être compétents et désintéressés, toutes les données scientifiques doivent être prises en compte et les résultats nécessitent d’être avantageux pour le bien de la société. Aujourd’hui, ce code permet donc d’éviter les dérives de ces expériences qui pourraient faire souffrir des individus et qui ne seraient pas éthiques, conformes aux principes moraux et aux règles.
Nous comprenons alors que ce « code de Nuremberg » n’était pas respecté lors des expériences nazies et qu’elles allaient à l’encontre de l’éthique médicale et morale. Effectivement, les sujets étaient contraints de faire ces expériences dans des conditions terribles avec d’immenses risques. D’ailleurs, rien n’était fait pour limiter les risques. Les victimes n’avaient aucune information sur les expériences, ils ne comprenaient d’ailleurs pas, bien souvent, ce qu’on leur faisait et pourquoi on leur faisait subir ces « expérimentations ». En outre, le caractère scientifique n’était pas respecté : les comptes rendus n’étaient pas précis, manquaient de rigueur et des expériences pouvaient se faire sur des animaux (comme avec les expériences sur l’hypothermie) et le résultat n’était pas toujours destiné au bien de la société, ni à faire avancer la science, la connaissance et l’humanité. C’est le cas des expériences faites sur la stérilisation dont le but était de stériliser, de force, des populations. Stériliser et donc empêcher des personnes de faire des enfants ne contribue pas, en effet, à faire avancer l’humanité.
Ainsi, le « code de Nuremberg » a été prononcé pour punir ces expérimentations non éthiques, pour éviter que de telles expérimentations se reproduisent et donner une voix réelle, dans la justice, à l’éthique médicale.
Synthèse rédigée par Maëlys NORMAND
À partir d’extraits du livre de Bruno HALIOUA « Le procès des médecins de Nuremberg », édition ERES, 2018 Et de Bernard KANOVITCH, Centre de Documentation Juive Contemporaine, « Revue d’Histoire de la Shoah »
1997/2 N° 160
Les 10 points du code de Nuremberg
Comment se déroulent les expériences médicales de nos jours ?
De nos jours, il y a un respect de l’éthique médicale. En effet, les patients connaissent le protocole de l’expérience réalisée et peuvent décider d’arrêter l’expérience à tout moment s’ils jugent les conditions inadaptées. Le code de la déontologie médicale régit certains points fondamentaux, comme l’importance du respect du corps de la personne. Cependant, des exceptions perdurent, et au Brésil notamment, récemment, pour améliorer le savoir sur la covid-19, des expériences ont été réalisées sur des patients sans même qu’ils soient au courant. Les règles de l’éthique sont pourtant fondamentales et doivent être respectées pour éviter de reproduire les erreurs du passé.
Cependant, lors de la pandémie de COVID-19, les règles de ce code de Nuremberg n’auraient pas été respectées au Brésil. En effet, des expérimentations ont été réalisées avec de la proxalutamide dans le but de réduire les hospitalisations et de guérir les victimes de la COVID-19. Néanmoins, les sujets auraient été trompés et n’auraient pas reçu les informations nécessaires sur ce « traitement » et ses effets secondaires graves. D’après le Réseau latinoaméricain et caribéen de bioéthique de l’UNESCO, ces expérimentions ont fait environ 200 morts.
Synthèse rédigée par Tom ALLMANDO, Émeline DEMEYER, Jeanne FAVEEUW, Steven FLODROPS, Laurine FOSLIN
À partir d’extraits du livre de Bruno HALIOUA, « Le procès des médecins de Nuremberg », édition ERES, 2018 Et de Bernard KANOVITCH, Centre de Documentation Juive Contemporaine, « Revue d’Histoire de la Shoah »
1997/2 N° 160
Jadwiga Dzido témoignant au procès des médecins, Nuremberg, Allemagne, 20 décembre 1946.
Photographie provenant du National Archives and Records Administration, College Park, MD