Notre devoir de mémoire
LE GOÛT AMER DE LA VÉRITÉ
(Prix National de la Mémoire et du Civisme André Maginot)
C’est en allant sur les lieux que je me suis rendu compte que tout ce qu’on nous dit d’Auschwitz est bien différent de la réalité. Depuis des années on m’enseigne les horreurs de la Shoah mais pas un seul de mes cours d’histoire ne m’avait fait ressentir la grandeur d’Auschwitz-Birkenau : 191 hectares. 191 hectares à perte de vue, 191 hectares de souffrance. Pas un seul de mes cours d’histoire ne m’avait parlé de la colère que j’ai ressentie, pas un seul cours d’histoire ne m’avait montré a quel point je me devais d’être reconnaissante de ce que j’ai, pas un seul cours d’histoire ne m’avait fait prendre conscience qu’un jour je pourrais avoir honte de ce que je n’ai pas fait, que je pourrais me sentir tiraillée entre tant d’émotions que les citer ne serait pas représentatif. Même si aucun cours d’histoire dans ma vie ne m’a donné d’émotions car un cours nous donne essentiellement des faits, je ne m’imaginais pas que les auteurs des nombreux témoignages que j’ai pu lire de ma propre initiative apparaîtraient sous mes yeux…
LE GOÛT AMER DE LA VÉRITÉ
C’est en allant sur les lieux que je me suis rendu compte que tout ce qu’on nous dit d’Auschwitz est bien différent de la réalité. Depuis des années on m’enseigne les horreurs de la Shoah mais pas un seul de mes cours d’histoire ne m’avait fait ressentir la grandeur d’Auschwitz-Birkenau : 191 hectares. 191 hectares à perte de vue, 191 hectares de souffrance. Pas un seul de mes cours d’histoire ne m’avait parlé de la colère que j’ai ressentie, pas un seul cours d’histoire ne m’avait montré a quel point je me devais d’être reconnaissante de ce que j’ai, pas un seul cours d’histoire ne m’avait fait prendre conscience qu’un jour je pourrais avoir honte de ce que je n’ai pas fait, que je pourrais me sentir tiraillée entre tant d’émotions que les citer ne serait pas représentatif. Même si aucun cours d’histoire dans ma vie ne m’a donné d’émotions car un cours nous donne essentiellement des faits, je ne m’imaginais pas que les auteurs des nombreux témoignages que j’ai pu lire de ma propre initiative apparaîtraient sous mes yeux. C’est dans le bloc 26, en face de la reconstitution de ce qu’on nommerait lit mais qui n’en ai pas un, c’est en face de cette fenêtre donnant vu sur le bloc 25 que je me suis imaginé ces « mannequins couchés dans la neige » que Charlotte Delbo décrit dans Aucun de nous ne reviendra, que je l’imagine, elle, accroupie sous cette sous-pente dans le froid et la neige. C’est à ce moment que ma gorge se serra plus fort encore, luttant contre la montée des larmes, un sentiment que je ne connaissais pas remontant de mes boyaux et serrant mon cœur, un mélange de honte, d’indignation et de tristesse. Une honte exacerbée par le fait que ces personnes aient pu vivre une seule seconde dans cet état alors que d’autres connaissaient ou même voyaient leur condition. Une indignation plus grande encore de vivre une vie paisible, me réfugiant dans mes livres lorsque l’envie me prend, alors qu’un jour, des milliers luttaient non pas pour vivre mais pour survivre. Une tristesse croissante par le fait que des centaines de milliers d’êtres humains sont morts, ici même dans la douleur et la souffrance sans même pouvoir y échapper et que pourtant des centaines de milliers ont continué d’espérer tout en étant arrivés dans un enfer sans lendemain; une tristesse à son paroxysme devant cette photo dans la dernière pièce où un jeune couple se fait prendre en photo car cette même photo ressemble comme deux gouttes d’eau à celle qui se trouve sur mon bureau, la même photo avec deux jeunes différents vivant à une autre époque mais affichant la même pose et le même sourire, la même complicité. Jamais m’identifier à quelqu’un ne m’a tiré autant de larmes, jamais je ne m’étais dit que j’aurais pu m’identifier à qui que ce soit là-bas, je n’y avais même pas songé. Mais tous mes sentiments quels qu’ils soient ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan de ceux qui sont passés par Auschwitz, à peine une goutte d’eau dans un océan sans limite. Ainsi, je peux vous assurer qu’il n’y a qu’en allant à Auschwitz que l’on peut ressentir et à la fois comprendre l ‘ampleur de ce génocide même si cela ne reste qu’une fraction de ce qu’il en est réellement.
Il n’y a qu’en allant à Auschwitz que l’on peut voir la noirceur de l’humanité. Je ne parle pas que des horreurs qui ont pu avoir lieu à cet endroit mais surtout du fait qu’il y a deux types de personnes qui viennent à Auschwitz. Il y a ceux qui viennent pour les morts, ils viennent honorer leur mémoire, leur montrer que personne n’oubliera ce qui s’est passé, personne. J’admire leur démarche et comme dans mon cas, malgré leur comportement et leur tenue vestimentaire irréprochable, ils ne se sentiront jamais assez solennels, chaque pas que j’ai effectué me donnait des frissons, je n’osais même pas poser les pieds au sol, à chaque entrée de bâtiments, il y avait cette atmosphère qui pesait sur moi, comme un poids qui écrasait mes épaules, un poids que je traînais derrière moi malgré le chant déconcertant et dérangeant des oiseaux, choquée de ma propre réflexion et du comportement du deuxième type de personnes que l’on trouve à Auschwitz ; ceux-là, qui se prennent ou se font prendre en selfie devant tout : le portail d’Auschwitz I, les tas considérables d’affaires que l’on peut trouver dans le bloc du Kanada, devant les 2 tonnes de cheveux derrière la vitre de plexiglas, n’hésitant pas à prendre leur enfant en bas âge, passer des appels téléphoniques, rire aux éclats ou à me pousser pour prendre leur fameuse photo qu’ils montreront le week-end suivant lors de leur repas de famille comme ils ont montré la semaine précédente leur visite au zoo de la ville ou leur journée au parc d’attraction. L’être humain se déshumanise derrière ces téléphones qui offrent cette reconnaissance sociale éphémère et enivrante, mais il a aussi déshumanisé de la même manière que les nazis ce lieu en voulant prendre des photos souvenirs qui les empêchent de comprendre l’essence même de ce lieu, ce deuxième type de personne cause sa propre incompréhension. C’est en rentrant chez moi et en discutant avec certains de mes proches que j’ai compris que tout le monde ne peut pas comprendre la différence entre savoir ce qu’il s’est passé et savoir ce qu’il s’est passé tout en y étant allé. Même si j’ai compris l’importance de ce lieu de mémoire, qui m’a profondément bouleversée, choquée, je ne regrette pas d’y être allée, je ne regretterais jamais, car maintenant je sens que j’en avais le devoir, je comprends aussi que certains ne veulent pas comprendre. Que ce soit consciemment ou non, après près de 80 ans certains n’arrivent pas à écouter, n’arrivent pas à concevoir que ça ait pu exister, ils ne sont pas prêts et ne le seront peut-être jamais. En attendant, j’ai compris que personne ne comprendra mieux que moi-même ce que j’ai ressenti c’est pourquoi, lorsque je suis rentrée chez moi j’ai eu immédiatement le besoin d’écrire, auquel cas ma gorge se serrait, et je voulais m’isoler pour pleurer ou fixer un point dans l’espace. Je crois et plus j’y pense plus je me dis que c’est vrai que personne, de nos jours, ne pourra jamais ressentir ce qu’un déporté a pu éprouver, c’est une évidence mais lorsque l’on rentre chez soi, et que certains de vos proches ne vous comprennent pas, pensent que vous en faites tout un plat pour rien, un flot de frustration et de colère vous submerge. C’est alors que vous imaginez ces survivants, ceux qui sont revenus. Comment ont-ils pu se retenir de vociférer sur le monde entier car c’est ce que mon corps me crie de faire et c’est ce que l’écriture me permet de réprimer.
A Auschwitz I, le musée a placé bien plus que des objets derrière ces vitres de plexiglass, il a placé les vestiges d’hommes et de femmes qui ont perdu la vie. C’est la mort elle-même, qui s’appuie sur nous dès notre entrée et nous prouve que l’homme est capable de bien pire qu’elle. C’est ce qui donne un goût amer à la vérité.
Compte-rendu individuel du voyage d’étude de
Lucie Canonne
Devoir de mémoire
À Paris, le 17 juillet 2005, à l’occasion de la commémoration du Vel d’Hiv de 1942, Simone Veil disait : « Le danger n’est plus qu’on ne parle pas de la Shoah, mais qu’on en parle à mauvais escient ». Cette citation me semble être représentative du travail effectué toute l’année pour mener au mieux ce devoir de mémoire. Il s’est concrétisé en Pologne où l’histoire de ces génocides s’est gravée par des images. Dans ce voyage, trois principaux lieux ont forgé ma mémoire autour de ce processus de concentration puis d’extermination dans l’ordre chronologique : le ghetto de Cracovie, Auschwitz I et Auschwitz II – Birkenau….
Devoir de mémoire
À Paris, le 17 juillet 2005, à l’occasion de la commémoration du Vel d’Hiv de 1942, Simone Veil disait : « Le danger n’est plus qu’on ne parle pas de la Shoah, mais qu’on en parle à mauvais escient ». Cette citation me semble être représentative du travail effectué toute l’année pour mener au mieux ce devoir de mémoire. Il s’est concrétisé en Pologne où l’histoire de ces génocides s’est gravée par des images. Dans ce voyage, trois principaux lieux ont forgé ma mémoire autour de ce processus de concentration puis d’extermination dans l’ordre chronologique : le ghetto de Cracovie, Auschwitz I et Auschwitz II – Birkenau.
Cracovie, ville des rois de Pologne mais aussi ville martyre : c’est le point de départ de la concentration, de l’entassement d’innocents emmenés de force dans un quartier, le ghetto. 15 000 Juifs y sont passés dans un lieu qui comportait la capacité d’accueil pour 3 000 personnes. Jusqu’en 1943, le ghetto de Cracovie a été le lieu de souffrance, de développement de maladies contagieuses. C’est aussi le début de l’entraide qui a soudé les prisonniers : le marché noir est le seul instant de réconfort grâce au troc de nourriture. La misère dans laquelle survivent les Juifs est insurmontable. Preuve du sadisme nazi, le mur qui clôture le ghetto érigé par le travail forcé, prend la forme des tombes traditionnelles juives en arc de cercle. Tout est déjà mis en œuvre pour faire subir aux Juifs du ghetto, les conditions abominables comparables à celle des animaux. Cette visite dans la ville nous apporte une première approche sur le génocide. Peut-on se projeter ? Non, jamais notre vision ne peut se comparer à la réalité qui s’est déroulée car ces actes d’horreur dépassent amplement ce que notre esprit peut imaginer. Visualiser par le peu de photographies existantes reste le seul moyen pour les générations futures de transmettre cette histoire. Un jour, les derniers rescapés, seules preuves vivantes comme Lili Leignel ou Ginette Kolinka, disparaitront. Alors que nous marchions dans le ghetto, la neige s’est mise à tomber. Bonnet, écharpe et gants nous protégeaient. Pourtant les températures fraiches continuaient à refroidir les bouts des doigts. Comment peut-on imaginer les Juifs avec de pires conditions climatiques sans vêtements chauds ni de quoi lutter contre la neige ? En plus du manque d’hygiène, de l’insalubrité et de la mort qui surgit à tous les coins de rue, les hivers sont glaciaux pouvant descendre jusqu’à -20°C. La découverte du ghetto a déjà ouvert une porte de notre connaissance, mais la place des héros du ghetto du Cracovie était tout aussi parlante.
68 chaises vides ornent aujourd’hui cette place. Les architectes cracoviens Piotr Lewicki et Kazimierz Latak, ont réalisé cette œuvre perturbante à mes yeux mais qui prend tout son sens avec des explications. Ces chaises représentent le mobilier emmené par les Juifs qui se dirigeaient vers le ghetto. L’espoir encore présent en eux, ils emportaient le peu qu’ils pouvaient, le plus utile et le plus onéreux. Ce qui a de la valeur va finalement enrichir le régime nazi après l’extermination. Les chaises symboliques sont l’image même de la fatigue, l’impuissance des personnes âgées qui à bout de force se reposent sur celles-ci. Imaginez, un matin, forcés de rejoindre un quartier, vous devez abandonner votre vie, votre maison, désormais aux mains des Allemands. Cette place des héros met en lumière l’absence d’une partie de l’Humanité amputée par une absurde race aryenne qui s’illusionne toute puissante. Pourtant, certaines personnes vont devenir la personnification même de l’héroïsme. Car depuis cette place, le docteur Pankiewicz (pharmacien non Juif à l’intérieur du ghetto) observe ce massacre avec dépit. Il était le seul lien avec l’extérieur. Sa pharmacie est le lieu où l’on peut lire la presse clandestine, se procurer le peu de médicaments disponibles et où l’on peut se prodiguer des soins. Malgré la proposition des Allemands au docteur de s’installer à l’extérieur du ghetto, celui-ci refuse. Il est témoin des scènes de violence. Son ouverture d’esprit a permis d’apporter le peu de bonheur qu’il avait la capacité d’offrir aux Juifs présents dans le ghetto. C’est grâce à des actes de résistance comme ceux-ci qui ont permis de prouver que l’idéologie nazie ne faisait pas l’unanimité. La terreur guette mais l’espoir n’est pas éteint. Je suis très admiratif de ces héros qui encore aujourd’hui sont reconnus par le titre de « Juste parmi les Nations ».
4 avril, 14 heures, nous entrons tripes serrées et angoisse à son apogée dans ce que les Allemands ont nommé « Auschwitz ». Dès notre arrivée sur le site, le ridicule slogan qui fait sa tragique réputation « Arbeit macht frei » nous plonge dans l’ambiance mortuaire du lieu. La brise effleure notre peau, rosée par le froid, l’herbe est verdoyante et nos pas sur le sol accidenté nous plongent au cœur des blocs, alignés comme des tombes dans un cimetière. L’entrée dans ces blocs a mis en avant l’abondance des assassinats. Dans une pièce sombre, un amas de chaussures, dans une autre, des prothèses entassées, puis des cheveux. Les portraits placardés sur les murs reflètent la peur. Les yeux perçants, les joues creusées transparaissent les prémisses de leur exécution. Date d’arrivée et date d’exécution figurent en-dessous de leur photographie. La date d’arrivée n’était-elle pas aussi celle de la mort ? Arriver à Auschwitz-I est comme se diriger vers la mort. Sur leur poitrine est accolée l’étoile comme tout autre signe distinctif pour répertorier la personne ou plutôt la « pièce », terme des SS, dans une catégorie. Le rythme est celui d’une usine. Le processus est millimétré et l’organisation parfaite. Le bloc français illustre cette organisation sur les murs avec le nombre d’arrivées, d’exécutés, d’hommes et de femmes pour chaque convoi au départ de la France. Pour les Allemands, ces répertoires ne sont que des chiffres. Ils oublient que derrière, une vie a été volée. On ressent encore aujourd’hui la peur et la cruauté comme devant le mur des exécutions : moment émouvant consacré au recueillement. Comment se rendre compte des actes meurtriers qui ont fait couler tant de sang innocent ? Ces vies ôtées d’un simple poison, le Zyclon B ou d’une balle flanquée dans le cœur. Autre image cynique, le bloc 10 est une baraque où le silence règne aujourd’hui. Les expériences répugnantes qui y ont été perpétrées resteront à tout jamais entre ces murs. Le « docteur » Mengele se servait de la marchandise humaine, une ressource comme une autre qui est exploitée par le plus sadique de tous. L’Humanité était surement omise dans son répertoire lexical.
Pourtant ce lieu est aujourd’hui un musée. J’étais perturbé à l’idée qu’un lieu de torture et d’assassinat puisse être muséifié pour le regard extérieur. Le contrôle de douane à l’entrée ou la transformation d’un bloc en toilettes m’ont paru absurdes. Comment peut-on marcher en ces lieux comme des touristes qui visitent un monument ? Auschwitz-I est aujourd’hui un lieu de tourisme. Ces touristes s’imaginent peut-être dans un parc d’attraction, mais ce qui s’y est passé est sans doute moins attrayant. La honte de voir ces inconscients trainer des pieds là où des milliers d’innocents ont perdu la vie me désole. Je ne sais pas si ces gens étaient lucides, de l’endroit dans lequel ils pénétraient. Prendre des photos dans ce camp me rendait mal à l’aise. Néanmoins, loin de toute gène, certains immortalisaient l’endroit en se prenant en photo. Je cite notre guide : « Un jour, j’ai même vu des gens prendre un selfie devant les fours crématoires ».
Si le soleil brillait lors de notre déplacement à Birkenau, il était impuissant pour réchauffer notre âme brisée et écœurée. Birkenau est le site le plus représentatif de l’industrie abominable lancée par les criminels nazis. L’étendue des lieux nous fait comprendre que nous sommes à notre échelle qu’une infime partie de l’Histoire qui a pu s’y écrire. Quand j’entre dans le bloc des hommes, les planches sont neuves et renvoient une odeur de fraicheur, une dalle de béton est coulée au sol. Les conditions sont transformées pour l’œil du visiteur qui est biaisé. L’air nauséabond, les latrines communes, les rats et la promiscuité étaient la réalité. Jusqu’à 8 hommes par couchette en tête bêche, le repos était impossible. Inimaginable. L’étendue du terrain était favorable pour la discrétion. Les cendres répandues dans les étangs ou les terres servent d’engrais. Un Juif n’est plus un Juif, un Tsigane n’est plus un Tsigane… : Tous dans le même trou. La dénaturalisation est un processus organisé et programmé par des soldats qui, aliénés par l’idéologie d’Hitler, se prêtent à la déshumanisation de leurs proies. C’est à Birkenau que mon cœur s’est le plus serré d’angoisse et de désarroi. Je me sens alors dans une situation inconfortable. J’ai toujours du mal à réaliser l’ampleur des tueries sans distinction, sans sentiment qui ont été perpétré. Les ruines des chambres à gaz dynamitées sont comme une preuve que les SS reculent devant leurs actes. Ils refusent d’admettre leurs crimes, d’éprouver ne serait-ce que de la pitié. L’inhumanité se prolonge progressivement vers les chemins de la mort, jusqu’à la Solution finale.
La nature a pourtant repris ses droits. Les biches qui ont pu nous faire preuve de leur présence, ont foulé l’herbe aujourd’hui verte de ce camp de la terreur. Elle était pourtant durant la Shoah inexistante, sa présence aurait été source de nourriture et de réconfort pour compenser l’enfer alimentaire. Le printemps n’est pas une saison pour « visiter » les camps. Comme le dit Ginette Kolinka dans Retour à Birkenau : « Il ne faut pas retourner à Birkenau au printemps (…). L’herbe était verte, le ciel limpide, on pouvait entendre les oiseaux chanter. C’était beau ». La vie a repris et les habitations aux alentours contrastent le paysage face aux barraques en bois. Le printemps est le moment du renouveau, surement la plus joyeuse de l’année. Se déplacer à Birkenau en hiver offre une autre vision du camp. Les variables météorologiques peuvent tromper les réelles conditions subies. Il ne faut pas oublier ce que la nourriture, l’hygiène, l’intimité, la vie signifient. Pour les condamnés, ce vocabulaire semble s’être envolé dès l’arrivée des trains sur la Judenrampe. La soif de dépouillement des familles par tous les objets, est visible à travers le « Kanada ». Cet espace de Birkenau est une illustration de l’espoir des déportés qui emmenaient leurs biens les plus précieux ou les plus utiles. Cependant, les Sonderkommando par leur travail immonde, répertoriaient ces objets dans les blocs du jardin d’Eden, le Kanada, source de richesse et d’abondance. S’enrichir sur la mort d’hommes, de femmes et d’enfants est répugnant. Les affaires personnelles, souvenirs de famille sont brûlées pour effacer toute preuve de leur passage sur Terre.
J’étais dans la même stupéfaction lors de la découverte de la boutique souvenir à la sortie de Birkenau. Qui peut avoir cet esprit si sombre pour acheter un magnet ou un porte clé en souvenir d’un centre de mise à mort ? Je ne suis pas du tout convaincu à l’idée de la légitimité de l’installation de commerces aux alentours de ces sites.
Ce voyage en Pologne nous a appris que l’Histoire ne pouvait pas toujours s’expliquer en cours. Les sites proposés nous ont fait prendre conscience de la criminalité des nazis et de la peine que l’on éprouve envers ces peuples décimés. Le devoir de mémoire est une mission qui nous est confiée et qui ne doit jamais s’éteindre. Chaque pas que nous avons réalisé étaient, il y a 80 ans, un supplice vers la mort. Nous quittons la Pologne, mais les images, elles ne nous quitteront jamais. Les horreurs des camps ne peut être décrite par des mots. Je suis fier aujourd’hui de pouvoir participer à ce devoir de mémoire qui me semble aujourd’hui plus que jamais inéluctable. J’ai eu la chance de rencontrer Lili Leignel il y a quelques semaines. Rescapée de Ravensbrück et Bergen-Belsen, elle transmet son expérience aux jeunes, qu’elle nomme « mes petits messagers ». Continuellement, elle nous a rappelé l’importance de sauvegarder la liberté de tous pour que de tels actes ne se reproduisent jamais. Malgré le travail mené sur la mémoire, la transmission de nos expériences, beaucoup de questions persistent et ne trouveront surement jamais de réponse. Comment a-t-on pu arriver à la montée du nazisme sans se rendre compte de la réalité des camps de la mort ? Pourquoi tant de haine envers les Juifs qui mériteraient leur irradiation ? Jamais nous ne pourrons entrer dans l’esprit d’un nazi et comprendre ses motivations. Plus contemporainement, je reste perplexe de l’efficacité de la démocratisation du tourisme de la Shoah, pour moi malsain.
HOUARD Gauthier TB